Texte de Stéphane Hoarau sur André Robèr.Des fous cartographes redessinent le monde ? Conférence donnée à l’École Supérieure des Beaux Arts de La Réunion (ESBAR), le 25 novembre 2009, dans le cadre des cycles de conférences de la biennale d’art contemporain « Arts actuels ».Le site du peintre, poète, éditeur réunionnais André Robèr installé à ille-sur-têt Catalogne nord

André Robèr

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Blog http://andrerober.blogspot.com/

Textes critiques

Textes de Stephane Hoarau

 

Des fous cartographes redessinent le monde ?

Conférence donnée à l’École Supérieure des Beaux Arts de La Réunion (ESBAR), le 25 novembre 2009, dans le cadre des cycles de conférences de la biennale d’art contemporain « Arts actuels ».

Il n’y aura pas ici d’origine accusée. Seule l’Histoire a été folle. Elle s’est mise au travers des hommes. Elle les a réunis aussi. Alain Lorraine,
Dehors est un grand pays (1993)

Une question de point de vue

En préambule à cette conférence qui porte sur l’art à La Réunion, ses pratiques et ses modalités de transformation – ou de mutation ? – dans un espace créolophone et de créolisation, j’avais souhaité diffuser un film : Les statues meurent aussi, film réalisé par Alain Resnais et Chris Marker. Ce documentaire français, réalisé en 1953 (avant les grands mouvements d’indépendance des pays africains dont il parle), avait été très mal accueilli par les pouvoirs publics français. Le film avait été censuré durant 8 ans, jugé par la « Commission de Contrôle des Films Cinématographiques » « offensants à l’égard de la France et de ses institutions ». Pour rappel, Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick (1958) avait connu le même sort. Le cas des Statues meurent aussi n’était donc pas un cas isolé, mais correspondait à une pratique de la censure mise en place par une France qui, au début des années 1950, poursuivait sa politique coloniale. Ce n’est donc qu’en 1961 que le public put découvrir ce film (dans une version toutefois remaniée). En 1961, soit durant la vague des indépendances de la fin des années 1950 et du début des années 1960 (1). Ce documentaire proposait un point de vue virulent contre le système colonial. Il traitait de l’art, certes, mais se servait de cette notion pour exprimer des vues anti-colonialistes. Sa problématique était la suivante : « pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au musée de l’Homme, alors que l’art grec ou égyptien se trouvent eux au Louvre ? ». C’est par conséquent à partir de cette interrogation qu’Alain Resnais et Chris Marker nous y racontent la douloureuse épopée de ce dit « art nègre ». Le circuit des « œuvres » (et je mets bien des guillemets au terme « œuvres ») produites par les « artistes » (ou plus exactement les « artisans » insistent les auteurs du film) y est décrit : de son lieu de fabrication à son espace de monstration et d’exposition, le musée occidental. Il y a, disent les auteurs, tromperie : non pas qu’il ne s’agisse pas à proprement parler « d’esthétique », mais que les critères « esthétiques » des productions africaines sont détournées par les occidentaux qui les accrochent ou les vitrifient dans leurs musées. Ce sont avant tout, précisent bien les auteurs, des objets mystiques, ou des objets de culte, ou des objets du quotidien auxquels sont conférées des dimensions esthétiques. Rien à voir, donc, avec ce qu’en occident il est convenu de désigner par le terme « art ». Le documentaire Les statues meurent aussi raconte donc l’histoire d’un détournement : celui des fonctions premières des chasse-mouches, trônes, statuettes animistes, masques zoomorphes ou autres objets, en « œuvres d’art » ayant pour seule fonction la contemplation. Les critères esthétiques (et souvent aussi cultuels) de l’un sont déplacés, pour être recatégorisés par l’autre. Un peu comme si, aujourd’hui, un conservateur de musée du Togo ou du Mozambique s’emparait d’une clé USB « design », de mon ordinateur, du cierge ou de la croix qui habillent une église, pour les présenter sous vitre dans son musée avec, en dessous, collée l’étiquette : « art occidental ». C’est un raccourci : car la catégorisation « art » tend à évacuer toutes les dimensions potentielles de l’objet (politiques, religieuses ou tout simplement fonctionnelles et usuelles). Il y a opéré, par le regard du spectateur, un glissement : glissement de la fonction pratique ou fonctionnelle de l’objet, à une fonction (qui n’en est d’ailleurs pas tout à fait une) artistique. Le chasse-mouches devient objet d’art, à montrer sous vitre, alors même qu’il était autrefois un objet usuel, tout comme aujourd’hui un téléphone portable, malgré son habillage « esthétique », reste un objet usuel ; selon les codes de ceux qui l’utilisent, ce n’est pas une « œuvre », ça ne sert pas à être regardé, ça sert à téléphoner… C’est ce glissement, de la fonction pratique à la fonction monstrative des objets de « l’art nègre » qui fait dire aux auteurs que, comme les hommes et leurs civilisations, malgré leur prise sur le temps, qu’elles soient en bois ou en pierre, « les statues meurent aussi ». Bien évidemment, en comparant ces objets, j’emprunte moi-même un raccourci : ces objets n’ont pas été produits dans un même temps, ni dans un même contexte. À ce propos, cherchant à me documenter sur ce contexte, celui des « cabinets de curiosités », et de l’importation massive – voire de pillages massifs – d’objets durant la colonisation, j’ai ouvert mon Dictionnaire de la France coloniale. Dans son article sur « l’art nègre et les arts premiers », Marc Michel commente : Lorsque Picasso visite le Musée d’ethnologie du Trocadéro, qui deviendra le musée de l’Homme en 1907, il n’y voit qu’un « musée haffreux » (sic). Un siècle plus tard [aujourd’hui donc], le Louvre accueille une série d’œuvres majeures des arts « premiers », le musée du Quai Branly ouvre ses portes et en quelques mois, de juin à décembre 2006, reçoit 800 000 visiteurs ébahis, émerveillés, fascinés. On parle d’un « choc » des arts premiers. (p. 707) Je ne veux pas parler ici de ce « choc » des arts premiers, mais plutôt de la terminologie même « art premier ». Et lorsque je dis cela, je ne pense pas précisément aux débats qu’il y a eu bien avant et lors même de l’ouverture du musée ; débat terminologique entre les termes « art tribal », « art nègre », « art primitif » ou « art premier ». À chaque fois, c’est le qualificatif qui est remis en question (« tribal », « nègre », « primitif », « premier ») mais jamais – ou rarement – le terme pivot, « art ». Et à plus forte raison, il n’est que rarement remis en cause que ces qualificatifs aient été inventés et employés par d’autres pour qualifier des pratiques et des savoir-faire qu’ils méconnaissaient. Le fait est donc que, dans chacun des cas, le terme est choisi par l’un pour désigner la pratique de l’autre. Il n’y a pas consultation, échange ou négociation – et a fortiori pas d’écoute – mais il y a un placage arbitraire d’un terme et d’un concept appartenant à l’un sur des pratiques et des savoir-faire autres que les siens propres. Je pense également à un extrait de la préface à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de Senghor (1948). Jean-Paul Sartre, auteur de cette préface intitulée « Orphée noir », écrit, au sujet de la langue de l’autre, au sujet de l’outil de communication de l’autre qui, dans un contexte de domination – comme c’est le cas durant la colonisation – doit devenir un outil à s’approprier, pour le faire sien : C’est dans cette langue à chair de poule, pâle et froide comme nos cieux et dont Mallarmé disait qu’« elle est la langue neutre par excellence, puisque le génie d’ici exige une atténuation de toute couleur trop vive et des bariolages », c’est dans cette langue pour eux à demi morte que Damas, Diop, Laleau, Rabéarivelo vont verser le feu de leurs ciels et de leurs cœurs : par elle seule ils peuvent communiquer ; semblables aux savants du XVIe siècle qui ne s’entendaient qu’en latin, les noirs ne se retrouvent que sur le terrain plein de chausse-trapes que le blanc leur a préparé : entre les colonisés le colon s’est arrangé pour être l’éternel médiateur ; il est là, toujours là, même absent, jusque dans les conciliabules les plus secrets. Et comme les mots sont des idées, quand le nègre déclare en français qu’il rejette la culture française, il prend d’une main ce qu’il repousse de l’autre, il installe en lui, comme une broyeuse, l’appareil-à-penser de l’ennemi. Ce ne serait rien : mais, du même coup, cette syntaxe et ce vocabulaire forgés en d’autres temps, à des milliers de lieues, pour répondre à d’autres besoins et pour désigner d’autres objets sont impropres à lui fournir les moyens de parler de lui, de ses soucis, de ses espoirs. (p. 244) Chaque langue – chaque langage – est un « appareil-à-penser ». Cet appareil-à-penser est le produit d’une histoire et d’un processus historique. Et de fait, il répond aux besoins portés par cette histoire dans le lieu – ou en lien avec le lieu – où cette histoire s’est déroulée et se déroule encore. Et chaque appareil-à-penser crée ses propres outils pour appréhender son environnement. Or, dans le cadre de la colonisation – et c’est bien ce que nous disent Alain Resnais, Chris Marker et d’une autre manière Jean-Paul Sartre – dans le cadre d’une colonisation et d’une rencontre forcée d’un couple schématique dominant / dominé, l’appareil-à-penser de l’un, du fait même du rapport de force, devient l’appareil-à-penser de l’autre. Ou plus exactement, l’autre doit apprendre à composer avec ce nouvel appareil-à-penser, venu du dehors, pour l’intégrer et le faire sien. C’est ce processus – qui est aussi un processus de créolisation – que décrit Jean-Paul Sartre au sujet de la littérature nègre par exemple. Et c’est précisément ce processus qui a été – et est encore ? – à l’œuvre dans les régions du monde qui sont créolophones. Changement de terrain et glissements sémantiques Pour parler de l’art contemporain réunionnais – ou plutôt de certaines formes d’art à l’œuvre aujourd’hui dans l’île et notamment dans sa littérature – j’ai choisi d’emprunter un chemin de traverse, de passer par ce film d’Alain Resnais et de Chris Marker. Car, à mon sens, il permet d’expliciter comment des systèmes de représentation et des concepts venus du dehors peuvent venir se plaquer sur d’autres, jusqu’à en bouleverser tous les codes. En l’occurrence, dans cet exemple, comment des codes européens ont été plaqués sur des codes « ultra-marins », d’Afrique : « art nègre / tribal / premier / primitif » pour dire ce qui, pour les artistes et/ou artisans africains n’était ni « nègre », ni « tribal », ni « primitif », ni « premier », et à plus forte raison pas nécessairement de l’art… La manière dont ces codes se trouvent plaqués, nous la retrouvons dans toute société coloniale où ce rapport de force a existé : l’un a besoin de comprendre l’autre, et pour ce faire plaque ses systèmes de valeur de manière arbitraire – pose des étiquettes – ; et l’autre, pour se faire comprendre par le premier – le puissant, celui qui domine et contrôle – doit apprendre à utiliser son appareil-à-penser. Sans toutefois renier et perdre la totalité de ses codes séminaux : à partir de l’appareil-à-penser de l’autre, mais aussi conjointement à partir du sien propre, cet autre recompose son univers en réadaptant ses codes, en les modulant, et en inventant d’autres. C’est un processus de créolisation, comme c’est le cas à La Réunion (et dans d’autres îles de l’Océan Indien). Ainsi, alors même que l’appareil de l’un a été forgé dans un autre espace, suite à une autre histoire, pour dire d’autres besoins (ses « soucis » et ses « espoirs », certes, mais aussi ses choses du quotidien : sa manière de manger et ses ingrédients, sa manière de s’habiller et les noms de ses vêtements, sa manière de vivre le monde et de vivre dans le monde…), alors même, l’un a dû apprendre à composer avec l’appareil de l’autre, pour apprendre à dire le monde tel que cet autre le percevait avec ses propres codes. En somme, dans le cadre d’un déracinement forcé (je pense à l’expérience de l’esclavage) et d’une colonisation (c’est-à-dire l’instauration d’un rapport de force), en plus des plats et des vêtements, c’est la manière de les nommer qui change : la manière de nommer ses plats change, la manière de nommer ses vêtements change, mais encore, la manière de nommer ses enfants, son habitat ou son environnement (les arbres, la faune, la flore, etc.) change. Et de cette rencontre d’appareil-à-penser naît un nouveau langage fait tout à la fois d’une, de deux, de trois voire davantage de langues. À La Réunion, sur un même lieu, sont venus et se sont rencontrés des habitants de plusieurs mondes distincts : d’Europe, de côtes africaines, d’îles de l’Océan Indien, de région d’Asie ou d’Inde, etc. Chacun est venu avec son appareil-à-penser : avec du malgache, avec du tamoul, avec du chinois, etc. Et toutes ces langues se sont retrouvées dans un rapport de force avec celle de celui qui a provoqué la rencontre, le français. Le réunionnais – je parle bien de la langue, du créole réunionnais – est la trajectoire de ces échanges et de ces négociations menées de manière souvent forcée. Et je dis bien « la trajectoire », et non « le résultat » ou « le fruit » car, comme le soulignent Carpanin Marimoutou et Françoise Vergès dans leur essai intitulé Amarres, Créolisations india-océane, « la créolisation n’est pas un agrégat, une somme de différences. Elle se sait inachevée, soumise aux mutations, à la perte. Elle est emprunt, mimétique, créatrice » (p. 57). Des mots se perdent, d’autres sont pris, et d’autres encore sont inventés pour, justement, parvenir à désigner et dire et nommer des besoins et des choses propres au lieu. C’est une pratique vivante et mouvante « de la perte et de la réappropriation » (p. 61). Or, à ma connaissance, si une grammaire, une conjugaison et de nombreux mots ont été inventés dans l’île au cours de son histoire, le champ lexical artistique du créole réunionnais reste peu outillé pour qualifier, en créole donc, toutes les pratiques des artistes de l’île. À titre d’exemple, il n’existe pas en créole de termes pour dire « art » ou « art plastique », ni même pour désigner une des disciplines (que ce soit la peinture, la sculpture ou la photographie). Pourtant, il existe bien des termes pour désigner des pratiques propres au lieu, à l’île : le terme « moring » pour désigner un art martial dansé ; les termes « séga » et « maloya » pour désigner tout à la fois des styles de musique et de danse ; le mot « narlgon » qui renvoie à une forme de théâtre originaire du Tamil Nadu ; ou encore le mot « fonnkèr » pour désigner la poésie en créole. C’est que, l’appareil-à-penser réunionnais ne s’est semble-t-il pas équipé pour cette notion venue du dehors (comme tout habitant sur cette terre de migrants), l’art, « forgés en d’autre temps, à des milliers de lieues, pour répondre à d’autres besoins et pour désigner d’autres objets ». Il s’agirait donc bien d’un acte conscient de femmes et d’hommes qui, au fil de leur quotidien vécu au sein d’une histoire violente et conflictuelle, n’ont pas équipé la langue : soit parce qu’ils ne l’ont pas souhaité, soit parce que le besoin d’outiller la langue en ce sens ne s’est pas fait sentir ? Ou peut-être encore – autre hypothèse donc –, peut-être est-ce là une forme de résistance ? Je rappelle ici que La Réunion est un département français depuis 1946, soit depuis à peine plus d’un siècle. Avant 1946, et même après cette date, les luttes sociales ont été virulentes, et les affres de la colonisation continuaient à marquer les esprits. Car le système colonial, du fait même de sa nature, imposait la mise en scène – dans l’île – du couple conflictuel dominant / dominé. Dans sa récente étude portant sur La Domination et les arts de la résistance, James Scott parle d’un « texte caché » pour « catégoriser le discours [du dominé] qui a lieu dans les coulisses, à l’abri du regard des puissants » (p. 19). A ce discours caché, nous pourrions ajouter celui de l’omission (un non-texte de l’omission ?) : ne pas dire – ou ne pas vouloir dire, ou ne pas vouloir traduire – ce qui constitue et caractérise la culture de l’autre, la culture de celui qui est en situation de domination. En somme, selon cette vue, le parti pris du dominé serait de ne traduire dans sa langue que des pratiques en lien direct avec sa ou ses cultures séminales (de Madagascar, d’Inde, etc.), et d’oublier de traduire les expressions et éléments représentatifs, selon lui, de la culture dominante ou imposée par la force… Les termes créoles « moring », « séga », « maloya » et « narlgon », par exemple, ne découlent pas du français, mais du malgache et du tamoul. Et qui plus est, ils renvoient à des pratiques qui trouvent leurs origines dans d’autres lieux que la seule Europe… Or, comme je viens de le dire, pour ce qui est de genres plus estampillés Europe du fait de leur longue tradition dans cette région du monde, telles que la peinture ou la sculpture, il n’y a pas en créole réunionnais de terme pour les dire. Le passage par la langue française, pour les dire en créole, est obligatoire. Un genre de pratique de la pratique d’un genre Cette conférence part donc d’un constat simple : il n’existe pas en créole de terme pour dire « art ». La langue vernaculaire ne permet de nommer l’art, pas plus que ses disciplines plastiques. Est-ce que cela signifie pour autant qu’il n’y a pas de pratique artistique vernaculaire ? Je ne le crois pas. Je crois plutôt que les pratiques artistiques vernaculaires déplacent les canons officiels et les normes, et les contournent. Il s’agirait d’une sorte de pensée hérétique – c’est-à-dire qui ne dit pas ou contredit la pensée normée – qui pratiquerait le détour pour contourner les canons et les standards. Pour illustrer mon propos, je m’appuierai essentiellement sur le travail de deux artistes, deux « fonnkozèr péi » (mot-à-mot des « poètes réunionnais ») qui pratiquent tour à tour, et notamment par le biais de la littérature, le mélange des langues et des mélanges de genres.

(André Robèr)

À la suite de sa rencontre avec André Robèr, vers la fin des années 1990 dans son atelier à Marseille, Carpanin Marimoutou écrit « cela qui manque » : Disons-le tout de suite et fortement. La plupart du temps, confronté aux productions et aux performances des artistes réunionnais, je les trouve intéressantes, belles souvent, travaillées, mettant en œuvre un savoir-faire indéniable et révélant une excellente connaissance des techniques et des approches les plus modernes ou les plus originales. Mais à de rares exceptions près, dont William Zitte [et André Robèr], je trouve que les tableaux ou les sculptures ont trop souvent l’aspect de travaux de bons et même d’excellents élèves. Bref, ils font trop « Beaux Arts ». Il y manque les enjeux, les problématiques d’une confrontation au réel et à soi-même, il y manque, à mes yeux en tout cas, et uniquement à mes yeux sans doute, la présence d’un sujet. À la lecture de ce texte et de ce manque formulé, celui d’un sujet qui ne parvient ni à se trouver, ni à se dire, à se montrer (et à être montré), je ne peux m’empêcher de penser à d’autres mots de Carpanin Marimoutou, ceux d’Amarres, publiés dix plus tard : Il n’y a pas de langue ni de langage qui puissent réellement dire cette histoire ni ce lieu car ni la langue ni le langage ne sont habités par ce lieu et cette histoire, ni ne les habitent, réellement. (p. 45) Et il poursuit avec cette interrogation : « comment habiter une terre de migrants ? ». Il s’agirait donc, in fine, d’une histoire de sujet (qui manque), de terre à habiter (mais qui ne parvient pas à l’être), de langue et de langage qui ne parviennent ni à habiter cette terre, ni son histoire, ni ses sujets… En somme, qui ne parviennent pas à les dire, à les formuler. « Cela qui manque », comme le suggère Carpanin Marimoutou, c’est le sujet. Or, « cela qui manque », dans le travail d’André Robèr, ce n’est pas précisément le sujet, mais des parties du sujet : ses corps sont ouverts, rouges, et aux gestes limités. Il y manque des bras, parfois des jambes, et presque toujours, ce qui tient la tête, le cou. Mais ce n’est pas tout, il y manque aussi des paysages : ces corps sont suspendus dans le vide, un peu comme si – ou, justement, comme si – ils n’habitaient nulle part. Le sujet est bien là, mais il n’est que partiellement présent, par fragment, par évidemment, pendiyé [suspendu] dans le vide. En sus d’être peintre (et le terme est en français), André Robèr est aussi un « fonnkozèr » (là, il y a un terme en créole pour qualifier cette partie de sa pratique artistique). Il est un fonnkozèr qui pratique le mélange des genres, le mélange de ses activités plastiques et de ses activités littéraires. Il fait des « fonnkèr pou lo zié ». On traduira mot-à-mot : « des poèmes pour les yeux », mais on choisira plus judicieusement comme traduction ces termes de Julien Blaine, poète et performer : il fait de la « poésure » ou de la « peintrie ». L’invention (ou l’adaptation) dans un lieu donné d’une pratique artistique nécessite, pour la valider en tant que telle, un terme pour la désigner. Il y a semble-t-il, dans cette recherche artistique, une volonté de donner forme à un sujet, de le recomposer malgré « cela qui manque », malgré ses manques. Et finalement, ces évidements (de corps ou de décors) renvoient à une identité du sujet qui se montre : il dit son imperfection, avec ses manques et les creux qui le constituent. Parmi ces creux, se pose celui de son langage, ce langage que le « fonnkozèr » accrorche sur toutes surfaces : sur du papier, mais aussi sur des cartes postales, sur des t-shirts, sur des morès, etc. Ainsi, à défaut d’avoir un lieu propre, la langue et les mots de la langue s’invitent sur toutes les surfaces, dans tous les lieux. Il y a bien plus qu’un glissement de genre : la poésie, en tant que canon et dans son appréciation noble et classique, est déplacée. Déplacée de son lieu de monstration (elle quitte le livre pour s’afficher ailleurs), mais du même coup, déplacée de son sens même : elle n’est plus « poésie », elle devient « fonnkèr pou lo zié ».

(Jean-Louis Robert)

Démarche que l’on peut retrouver dans la pratique d’un autre « fonnkozèr » de l’île, Jean-Louis Robert. Celui-là, ne déplace la poésie de son support communément reconnu, le livre. Par contre, à l’image des chantres de la poésie nègre dont parlait Sartre, il détourne la langue… et plus exactement les langues. Jean-Louis Robert, lui aussi, pour désigner sa pratique, ne s’est pas appuyé sur un terme déjà existant, mais s’est attribué sa propre étiquette : le « mélangue ». Ce terme joue sur un double sens : d’abord, on peut y entendre « mes langues » ; ensuite, on peut y lire la contraction de deux termes français, « mélange » et « langue ». Et c’est de la conjonction de ces deux termes distincts et reconnus par tous que naît, non pas son néologisme, mais son créolisme. « Mes langues », chez Jean-Louis Robert, veut dire la conjonction et la contraction simultanée du créole réunionnais et du français. Il écrit, toujours, en présence de ces deux langues ; ou inversement, ces deux langues, toujours, habitent sa langue ; son « mélangue ». Pour exemple, cet extrait d’un fonnkèr intitulé « (larg la vwa) », tiré du recueil Tramayaz (2007) : bann lèt ma la ékri en toutes lettres pou lo zyé silans dann in kwin mon tèt mon tèt plin ansanm l’absence de ton être (p. 160) Ce texte n’est pas en créole, pas plus qu’il n’est en français. C’est un mélange des deux langues, où, du fait du choix graphique et du vocabulaire, l’on peut aisément reconnaître l’une et l’autre. Les mots de l’une, et les mots de l’autre. Mais s’il est possible de démayé [démêler] les mots, il n’est pas possible de démayé le sens global du texte. Sans l’une ou l’autre langue, le texte tombe, et il n’a ici de sens, que justement parce que les langues s’emmêlent. L’avant-dernier vers le souligne bien : il y est dit « ansanm l’absence de ton être ». Autrement dit, « avec l’absence de ton être », et non, comme le voudrait la règle grammaticale française « en l’absence de ton être ». Le fonnkozèr, ici encore, compose avec un manque : il y a une absence à combler, mais cette absence se gonfle de présence… L’absence elle-même devient présence : présence d’un être, d’un sujet, qui parvient à formuler ses manques par la conjonction de deux entités langagières, par l’affirmation de la cohabitation en lui de deux appareil-à-penser. Je relis les deux derniers vers : il écrit « avec l’absence d’un être », c’est-à-dire en présence d’une absence. Mais, si la question du genre ne se pose pas pour ce texte, qui est un fonnkèr, forme reconnue désormais par les fonnkozèr et / ou les lecteurs de l’île, la conjonction de ces deux formes dans un autre espace littéraire, cette fois le roman, peut poser problème. Car, s’il existe un terme pour désigner ce genre-ci (le « fonnkèr »), il n’en existe pas pour désigner le roman (même écrit en créole, un « roman » reste un « roman » et se nomme donc en français). Pourtant, si l’on prend un exemple de roman de ce même auteur qui pratique le « mélangue », Creuse, ta tombe (2006), l’on s’aperçoit que la question du genre se pose. Creuse, ta tombe, toujours dans le « mélangue », emprunte tour à tour les chemins du fonnkèr et du roman. C’est un ensemble unitaire, mais il est fragmenté dans sa structure, lézardé dans sa langue. Cinquante-quatre parties, qui ne sont pas tout à fait des chapitres, s’écrivent tour à tour en « mélangue », en français ou en créole exclusivement, et racontent tour à tour, à la manière du récit ou de la pièce de théâtre des faits divers ou des pans d’histoires silencieuses. Et c’est ainsi que certains passages se répètent, comme si, lorsqu’elles ne se mélangeaient pas, les langues se répondaient en échos. Je vous lis deux extraits, qui sont séparés d’un peu moins d’une centaine de pages : Ils voyaient soudainement l’Édifice [colonial] se mettre à trembler sur ses bases, chanceler, vaciller… une violente secousse ébranler le sol… une grosse rafale de vent se lever… un vent ivre subitement… leur langue même se malanguer… Ils voyaient l’Édifice se craqueler… prêt à s’écrouler… se désagréger… de petites fissures se produirent… tracer partout sur le bloc compact de l’Édifice de nombreux sentiers marrons… se rejoindre, se réunir pour former une faille […]. (p. 16-17) / Toudinkou dovan zot kanèt Lédifis té koman kanoté, dérivé, gingn vèrtiz… In bourant i sort dann kèr la tèr… In rafal lo van i lèv… In van toudinkou mandozé… Sa i farlang Lédifis an antyé… I tous ziska zot lang blan… La pa lwin tonbé… pèt an morso… Gigine pétir i lèv… I tras partou si lo gro blok Lédifis in tralé santyé maron… Tousa i may ansanm, i fé in rényon pou rouv in félir […]. (p. 101) Il s’agit, mot pour mot, du même texte. Un même texte qui apparaît deux fois dans le roman, mais dans deux langues différentes. Et l’un serait la traduction de l’autre. Il y a là mis en jeu, par le double biais du discours, et conjointement, de la répétition, un projet : provoquer, comme le dit le texte, « in félir », « une faille ». « Tracer partout sur le bloc de l’Édifice de nombreux sentiers marrons » dont l’union en un ensemble compact viendrait lézarder l’Édifice [colonial] mis en question. Et, in fine, c’est précisément ce qu’est en train de faire le roman : en le fissurant par du créole, il trace ses propres sentiers, et vient ainsi détruire « l’Édifice » normé du genre romanesque. Indéniablement, il ne s’inscrit pas dans une tradition romanesque française, mais en inventant ses propres codes et en formulant ses propres projets – projets liés au lieu, à la langue, à la mémoire et à l’histoire du lieu même –, il vient redéfinir le genre, selon ses propres vues et ses propres besoins. (Dans les mondes post-coloniaux ?) Bien sûr, il ne s’agit pas là d’une spécificité réunionnaise. Il existe d’autres romans dans le monde francophone (qui comprend la France) qui bouleversent les codes. Pêle-mêle : Nedjma de Kateb Yacine, des romans de Jean-Marie G. Le Clézio, tels que La Quarantaine, Mémoires de porc-épic d’Alain Mabanckou, ou encore, Za de l’auteur malgache Raharimanana. Je voudrais m’arrêter un instant sur ce dernier roman car, il me semble, à l’encontre des autres romans cités qui sont écrits en « français », que celui-ci pratique également de manière évidente le « mélangue ». Non pas exactement un « mélangue » comme le définit Jean-Louis Robert, c’est-à-dire un mélange de deux langues, mais un « mélangue » qui mêle à une langue les accents d’une autre :

Eskuza-moi. Za m’eskuze. A vous déranzément n’est pas mon vouloir, défouloir de zens malaizés, mélanzés dans la tête, mélanzés dans la mélasse démoniacale et folique. Eskuza-moi. Za m’eskuze. Si ma parole à vous de travers danse vertize nauzéabond, tango maloya, zouk collé serré, zetez-la s’al vous plaît, zatez-la ma pérole, évidez-la de ses tripes, cœur, bile et rancœur, zetez-la ma parole mais ne zetez pas ma personne, triste parsonne des tristes trop piqués, triste parsonne des à fric à bingo, bongo, grotesque elfade qui s’égaie dans les congolaises, longue langue foursue sur les mangues mûres de la vie. Eskuza-moi. Za m’eskuze. (p. 9)

Za a cette particularité d’être un roman qui, comme dans cet extrait, zozote durant près de 300 pages… Et, tout autant qu’un lecteur non-créolophone se sentira dérouté à la lecture de Creuse, ta tombe, à la lecture de Za, il s’en trouvera désorienté. L’auteur, Jean-Luc Raharimanana, lors d’un entretien, expliquait – ou plutôt précisait – qu’il s’agissait pour lui, en partie, de faire entendre, dans le français, les accents de sa langue maternelle, le malgache (2). Et les accents malgaches viennent en effet lézarder le français durant la totalité du roman.

Tous des « fous cartographes » ? (2)

Partant de ce constat et de cette comparaison entre ces deux ouvrages, il s’agit pour moi moins d’affirmer que cette pratique du « mélangue » est une spécificité des îles francophones de l’Océan Indien (ce qui serait faux) que de noter et de remarquer que tous ces romans francophones précédemment cités sont des œuvres ayant vu le jour dans des mondes post-coloniaux. Tous retournent la langue de l’ancien colonisateur, son appareil-à-penser, pour le faire sien, et l’ajuster à ses besoins – et aux besoins de son propre lieu de vie. Et de fait, en faisant cela, en redessinant les contours de genres normés (en faisant sortir la poésie des livres pour l’afficher comme des toiles ; en faisant se rencontrer les langues ; ou bien en en faisant zozoter d’autres), tous ces artistes contribuent à redessiner la carte des genres et des normes. Et avec elle, c’est la carte du monde, d’une manière plus générale, qu’ils redessinent : les frontières sont déplacées, et ce qui devait initialement être un appareil-à-penser français, devient un appareil-à-penser créole, ou malgache ; et ce qui devait servir à désigner des « soucis », des « espoirs » et des « besoins » d’un lieu se met, par un renversement des codes, à en qualifier d’autres, dans d’autres lieux. Le « fou cartographe » serait donc celui qui, par des ruses (langagières, génériques, esthétiques, etc.), retournerait les codes qui lui ont été imposés durant son histoire et l’histoire de son lieu, pour parvenir à mieux dire – et décrire – les mouvements qui régissent ses cultures (et j’emploie bien le pluriel).

J’emprunte là une idée à Arjun Appaduraï qui, dans son ouvrage Géographie de la colère, montrait que « les cartes des États et les cartes des guerres [aux XXe et XXIe siècles] ne se superposaient plus comme dans la vieille géographie réaliste » (p. 64). Les cartes des mouvements et des circulations – imaginaires ou réelles – ne se superposent plus à celles des États et de la culture, et de la langue, et des arts de ces États. Partout, et dans tous les sens, il y a de la circulation, partout il y a de la modulation ou de la créolisation ou a fortiori du sens altéré né d’échanges et de rencontres entre des femmes et des hommes.

En somme, et je schématise là la ruse du « fou cartographe » : en faisant bouger les lignes de ses références artistiques, mais encore, en choisissant ses mots pour qualifier ses propres pratiques et savoir-faire (ce qui suppose d’invalider les mots posés par l’autre, ou alors de ne pas les traduire dans sa propre langue, comme pour marquer le refus de ces codes et de ces référents venus d’ailleurs), il façonne un monde à son image, il fait bouger les frontières, et multiplie des liens et des points d’accroches avec d’autres univers. Il contribue ainsi à dessiner une carte mondiale plus à même à le dire, à témoigner de ce qu’il est. En l’occurrence, dans un monde créolophone, dans cette île de l’Océan Indien, La Réunion, il est cette mouvance incessante des frontières, il est ces passages répétés par-delà et au-delà des seules frontières nationales. Une précision toutefois, en disant cela, je ne dis pas que tous les artistes réunionnais sont des « fous cartographes », mais je dis que ceux-là auxquels j’ai fait référence, du fait de la nature de leurs pratiques qui mêlent, entremêlent et maillent en ayant pour effet de brouiller des frontières culturelles, y ressemblent étrangement. « Fous », ils ne le sont peut-être pas, mais le fait est qu’ils proposent bien une nouvelle cartographie de l’ordre – ou du désordre – mondial.

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(1) Je souligne ici que l’année 2010 célébrera le cinquantenaire des indépendances africaines, puisqu’autour de 1960 ce sont plus d’une quinzaine de pays africains qui accédèrent à l’indépendance.
(2) Stéphane Hoarau et André Robèr, « Entretien avec Jean-Luc Raharaminana », Les Dossiers de l’ARCC nº 70, Paris, ARCC, 2009 [Enregistrement sonore].
(3) Terme emprunté à Nabile Farès dans Le champ des Oliviers (1972) : « Je ne suis pas un fou ordinaire. Je suis un fou cartographe. Et je bois à cette nouvelle cartographie…… » (p. 217). Voir à ce sujet la thèse de doctorat : Stéphane Hoarau, Écriture de l’exil, exils des écritures, Univ. Lyon 2, 2008. Document consultable en ligne sur Cyberthèses : http://demeter.univ-lyon2.fr/sdx/theses/notice.xsp?id=lyon2.2008.hoarau_s-

Bibliographie
Arjun Appadurai Géographie de la colère, Paris, Payot, 2007 [2006].
Nabile Farès, Le champ des Oliviers. La Découverte du Nouveau Monde, Livre I, Paris, Seuil, 1972. Stéphane Hoarau, Écriture de l’exil, exils des écritures, Thèse de doctorat, France (Lyon), Univ. Louis Lumière – Lyon 2, 2008.
Stéphane Hoarau et André Robèr, « Entretien avec Jean-Luc Raharaminana », Les Dossiers de l’ARCC nº 70, Paris, ARCC, 2009 [Enregistrement sonore].
Kateb Yacine, Nedjma, Paris, Seuil, 1956.
Jean-Marie G. Le Clézio, La Quarantaine, Paris, Gallimard, 1995.
Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic, Paris, Seuil, 2006.
Carpanin Marimoutou, « Cela qui manque », in ROBèR, France, K’A, 1996.
Raharimanana, Za, Paris, Philippe Rey, 2008.
Alain Resnais et Chris Marker, Les statues meurent aussi (30 mn, 1953), in Hiroshima mon amour, Paris, Arte Video / Argos Films, 2004 [2 DVD, 5h].
Jean-Pierre Rioux, Dictionnaire de la France coloniale, Paris, Flammarion, 2007.
Jean-Louis Robert, Creuse, ta tombe, France, K’A, 2006. —, Tramayaz, France, K’A, 2007.
Léopold Sédar Senghor, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, PUF, 1948.
Jean-Paul Sartre, « Orphée noir », in Situations III, Paris, Gallimard, 1949.
James Scott, La Domination et les arts de la résistance, Paris, Amsterdam, 2008 [1992].
Françoise Vergès et Carpanin Marimoutou, Amarres, Créolisations india-océane, Paris, L’Harmattan, 2005.

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Un cafre fait un pas dans la poussière et dans le sang
Un pas aigre et hâtif
Frère, il a perdu l’huile noire de ses hanches
Et je l’entends crier :
 - J’ai la faim au ventre
Et la terre meurtrie se tord dans mon corps.

Jeanne Breze, L’ultime cri.

 

Alé di partou !

          Comment parler d’une vie qui n’est pas la sienne et qui, nécessairement, nous échappe ? Comme André Robèr l’a dit : « Mon histoire, elle est à moi et elle m’obsède » (Keller 14). Pour écrire ce petit texte de présentation sur André Robèr, je dois faire ce que, justement, André Robèr n’aime pas : jouer… Je dois jouer à être lui, je dois faire de son histoire, mon histoire obsédante. Je dois reconstituer sa vie qui n’est pas la mienne, je dois jouer à fouiller, à retrouver dans ce qui a été écrit sur lui, par ses amis – mais encore dans ce qui a été écrit par lui (je parle de sa poésie), dans ce qui a été écrit grâce à lui (je parle de son travail d’éditeur) – tout ce qui parle de lui… Sans compter que, pour dresser ce portrait, il faut encore se pencher sur sa peinture, ses sculptures, ses émissions sur l’art qu’il présente à Radio Libertaire, etc. C’est que, pour se faire une idée de qui est André Robèr, il faut en éplucher des livres – sur lui, à lui, par lui -, il faut en regarder des images, il faut en écouter des cédés et des émissions !
Je dois donc jouer à être un autre, jouer à être lui, et me plonger dans la vie d’un homme né André Robert, en 1955, à la Plaine des Palmistes – à La Réunion donc – et arrivé dix-neuf ans plus tard dans la grisaille parisienne. Je joue donc : « j’ai vécu mon enfance dans la pauvreté. Mes parents étaient « colons » chez Carrère, un gros propriétaire de Saint-Benoît. J’ai arrêté l’école à la suite d’une 5e de transition. Après trois ans à l’École de l’Eau et de l’Électricité (EER) au Port, on m’a obligé à passer le concours EDF. J’ai quitté l’île en 1974, à mon corps défendant » (André). Quand commence la vie d’André Robèr ? À sa naissance, le 21 juillet 1955, ou à son départ de l’île, en 1974 ? C’est en effet quelques années après ce départ, après cette rupture, qu’il entame son initiation artistique et sociale… l’art étant la société, l’art étant une manière de s’engager contre une société, pour la société… art et engagement étant dans son parcours, comme dans son œuvre, indissociablement liés : « je » rencontre en 1980 les peintres de Barbizon et je découvre à ce moment-là que Courbet « a sauvé le Louvre pendant la Commune » (Blaine 1994 : 7). C’est donc à ce moment que je comprends que le Louvre (c’est-à-dire la culture) n’appartient pas qu’à eux (« eux », ceux qui m’ont « obligé » à passer le concours EDF et à quitter l’île « à mon corps défendant »), mais qu’elle m’appartient aussi, à moi. Je commence alors, en 1982, des études d’art plastiques qui se termineront par l’obtention, en 1988, d’un D.E.A. sur l’art dans la rue, l’art sur les murs.
Ces années 80 sont riches : il y a la découverte du continent, de sa vie, de sa culture, mais il y a surtout de nombreuses rencontres, qui sont autant de prises de conscience ; ces années marquent le début d’un engagement alter-…, libertaire et anarchiste. C’est donc à la suite de ces rencontres, à la fin des années 80, en 1986 pour être précis, que je crée pour la première fois : une œuvre sans titre, un portrait, une forme ou une ombre peinte sur du papier mâché, dans la porte d’un coffret électrique de l’EDF (ci-dessous)… EDF chez qui je travaille, et qui me mute en 1989 à Marseille. Tournant : « c’est là-bas que j’ai compris l’importance de ma langue, le créole, lorsque j’ai découvert la poésie contemporaine dans toutes les langues. J’ai alors décidé d’aider mon île et d’entretenir ma réunionnité en investissant le champ culturel : exposition, organisation de kabars, poèmes, travaux plastiques autour du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, peintures ayant trait au marronnage, etc. Un désir encore plus prononcé après avoir entendu un soir d’été 1999 de la part de métropolitains que la culture réunionnaise n’existait pas. J’ai alors créé les éditions K’A avec Carpanin Marimoutou comme directeur littéraire ».
technique papier mâché dans porte de coffret électrique

Sans titre, 50 x 50 cm, technique papier mâché dans porte de coffret électrique
1986 : première œuvre

Fonn’kozèr

          Lorsqu’on se rend chez André Robèr, dans son atelier d’Aubervilliers, on s’aperçoit très vite que, chez lui, tout est… poésie. Avant même de passer le pas de la porte, avant même d’entrer dans son espace de vie, on peut découvrir – sur la porte d’entrée donc – un petit mot qui dit à peu près ceci : « Bien que beaux, mes yeux sont très fragiles. Veuillez ne pas fumer à l’intérieur s’il vous plaît ». Les fumeurs sont prévenus : André Robèr n’aime pas la fumée. Il n’aime pas ce qui est fumeux, ce qui cache derrière un nuage ce qu’il y a à voir, ce qui doit être vu… Et ce qui se donne à voir dans son atelier, ce sont des couleurs, partout : du rouge, du noir et du marron bien sûr, et puis aussi du vert, du jaune, etc. sur des toiles de jute, des gonis, des planches, des cartons, du papier, petit ou grand format, des tickets de trains, etc. Il n’y a pas de blanc : que de la couleur, partout, sur toutes les surfaces, sur tous les murs, dans tous les trous, dans tous les tiroirs et toutes les étagères.
          En revanche, dans l’une des pièces de l’atelier, la plus sombre, la plus intime aussi, il y a moins de couleur, moins de lumière. Juste une petite ampoule qui sert à éclairer une étagère remplie de livres : ceux de sa maison d’édition, les éditions K’A – ceux de ses auteurs, mais les siens aussi. En visiteur impoli, on peut se permettre de piocher au hasard dans cette bibliothèque composée de livres neufs, destinés à d’autres. On se laisse alors happer par les mots, on découvre au hasard des pages « une volonté farouche / de rester debout / d’homme debout / d’homme loin des compromis / d’homme libre / d’homme de culture / d’homme cultivé » (Robèr 2002 : 31). Dans cette pièce soudainement éclairée d’une autre lumière, j’ai lu quelques lignes des Carnets d’un retour au pays natal, j’y ai aussi lu Lékritir lot koté la mèr… et maintenant, à chaque fois que j’ouvre l’un des recueils d’André Robèr, j’ai l’impression de me retrouver là, dans cette salle à Aubervilliers, qui contient le trésor des éditionsK’A. Je suis libre, debout, face à l’étagère, et je découvre d’autres maux, toujours au hasard des pages ; André Robèr écrit : « Pour que mes lecteurs comprennent / L’état du pays natal / là quoi dort dans l’océan indien / plaque d’Afrique / tes enfants ont mal / ils regardent / impuissants / ce paradis artificiel » (Robèr 1998 : 39). La poésie d’André Robèr regarde en face la « soufrans » : celle de ne plus être dans le ventre du pays-mer, du « pays natal », celle de devoir écrire de l’autre côté de la mère, mais aussi celle de devoir voir, impuissant, d’ici, les déchirures de là-bas : « M » comme « MISèR », « K » comme « KORUPTiON », « R » comme « RELiZION » (36-37), tous les maux qui dénaturent l’île… Pourquoi André Robèr écrit-il ? Parce que, avoue-t-il encore, « L’appel du pays natal en cette fin de décennie est là / nécessaire il gueule en moi [...] / pour dire merde à toutes les morales de bazard » (44), pour crier « Argard » (45), regarde !, « sak i rèv minm pa », « sak i gingn pi révé », « sak i rèv minm pi », « sak i oubli révé », « Mé / argard / osi / domoun / lé dobout / domoun / lé dobout / ek lespwar » (52-53).  
          Le poète (le fonn’kozèr, l’écrivain de fonnkèr), nous invite donc à regarder autour de nous, partout où il y à voir, au-delà des nuages de fumée, pour nous montrer ce qu’il met à nu : lui-même et les autres, dévoilant parfois outrageusement l’intimité des corps (je pense par exemple aux poèmes érotiques de Fonnkèr pou la po et de La fès an lèr), et surtout son île natale, la déshabillant de ses maux. Les titres de ses deux premiers recueils semblent donner les clés de son œuvre : Lékritir lot koté la mèr et les Carnets de retour au pays natal illustrent son obsession, celle de ne pas vouloir être, à cause de la distance, un spectateur impuissant de ce qui se passe là-bas ; celle de vouloir être, grâce à cette distance, un acteur singulier de la vie culturelle d’ici, pour là-bas.
          Dans une performance, l’un de ses amis, le POETE affirmé Julien Blaine (2001 : 6), se demandait : « Comment sortir les mots de ma bouche ? » (7). Je ne suis pas sûr qu’André Robèr se pose cette question en ces termes… je crois que sa poésie ne veut pas seulement sortir de sa bouche, mais qu’elle veut sortir de son corps, tout entier, suinter de ses ports, pour aller s’amarrer aux rives d’un autre corps, celui de son île natale, où il retourne toujours par l’écriture, bien sûr, mais aussi par la sculpture, la peinture…

Tricopo si mon kor
kom lanrobaz si la tèr
lèr po ékri la pasé
vi vé mon k/yé
mi ékri ankor
pou la mémwar
rod amwin dosou la rak
la min lé la
li sava si papié
i fé rèv a mwin
konm papang kan li mazine in tang dann son bek
 (Robèr 1998 : 11)

Homme(s) déchiré(s)

« Robèr ne sait pas peindre, c’est lui-même qui le dit ». Pourtant Robèr est peintre… André Robèr dit aussi : « Je peins des poissons quand j’en ai marre de peindre des hommes ! » (Znorko). C’est qu’il en peint des hommes ! Non pas des hommes bien portants, peints de pieds en tête, avec tous leurs muscles, leurs os, leurs membres, leurs cheveux et leurs poils. Mais des hommes différents, habités d’une vie autre que celle des trop bien formés des trop beaux arts. Je ne dirai pas qu’André Robèr peint des monstres. Non. Il peint, simplement, les hommes avec leurs faiblesses, leurs défauts, leurs manques. Il peint, pour reprendre une formule à Carpanin Marimoutou, « cela qui manque » (Marimoutou 1996) : un bras, une jambe, un œil, parfois les deux, comme pour les oreilles, une joie, une assurance, une confiance, un espoir. Ses hommes ne sont pas valides – pas plus que les poissons, morts, qui les accompagnent parfois – mais ils sont « amputés » (ci-dessous), défigurés, atrophiés… ou peut-être que non… Peut-être qu’ils ne sont pas atrophiés, mais différents. Oui, c’est cela, différent. Et ce bras, cette jambe, cet œil ou cette oreille, cette joie ou cet espoir qui manque ne sont, en fait, que la révélation d’une réalité autre, différente de celle qui se montre avec trop de complaisance sur les écrans plats de nos médias contemporains. Rien à voir donc avec le bien léché de la tévé, de la pub ou des magasines pipeules, mais tout à voir avec l’homme, sa chair, son corps, ses ambitions et ses désillusions. Les médias d’André Robèr – ses supports de communications – se trouvent partout où une vie a lâchement été abandonnée : dans des matériaux de récup’, des bouts de tissus, des bouts de bois, des bouts de papier, des bouts ou même des dos d’affiches, etc. Il est par ailleurs intéressant de constater que cette multiplication des supports que nous pouvons remarquer pour sa peinture, vaut pour ses fonnkèrs ; ils se donnent à voir dans des livres, bien sûr (je pense par exemple à Fonnkèr pou lo zié), mais aussi sur des t-shirts, des cartes postales, etc.
À partir de tous ces matériaux délaissés, André Robèr fabrique la vie, sa vie et celle des autres. Il est un démiurge, travaillant sur tout la singularité et la diversité de nos corps ; il est un démiurge, en ce sens où l’entend Césaire dans « maillon de la cadène » : c’est « avec des bouts de ficelle / avec des rognures de bois / avec tous les morceaux bas / avec tous les coups bas » (410) que Robèr fabrique la vie, qu’il bâtit un monde. Dans ce monde, ce qui est précieux, ce n’est pas la surface sur laquelle prend la vie, mais la vie elle-même. Ce qui est précieux, c’est le corps déchiré, abîmé, troué par ses propres orifices, bouches et sexes… Ce qui est précieux, ce n’est pas la misère de ces vies, mais c’est la vie qui se poursuit, qui s’affirme, malgré cette misère, malgré les manques. Ce qui est précieux, dit sa peinture, c’est de savoir se (re)trouver, se (re)construire, sur les ruines de ce qui a été abîmé…
Quand on regarde le travail pictural d’André Robèr, on peut penser à Munch, à ce cri qui déchire le visage d’un homme qui, lui-même, déchire l’espace de la toile où il se trouve, la faisant vibrer, raisonner au dehors du cadre. Les bouches sont toujours grandes ouvertes, les orifices aussi ; il y a des trous, des puits partout. Le spectateur ne sait plus très bien s’il est l’un de ses hommes, à qui il manque quelque chose, où s’il est l’un de ces poissons, qui se noie au côté des hommes… 
André Robèr dit qu’il ne sait pas peindre, pourtant il est peintre… Il n’a pas recours à une technique précise, arrêtée, affinée, mais il a recourt à une pluralité de techniques – des techniques mixtes – qui donnent corps à une seule et même image : celle d’une forêt peuplée d’ombres, au milieu de laquelle, devenu acteur, le spectateur erre terrifié… Ses ombres étranges, ses formes jetées au pinceau, d’un geste vif, ou bien violemment lacérées au couteau, nous invitent à nous perdre : nous perdre au milieu de leurs cris, dans les gouffres qui sont creusés dans leurs visages et leurs ventres… Je me souviens m’être perdu, dans l’atelier d’Aubervilliers, dans une de ses séries, une de ses « tribus »… Sur une centaine de pages blanches, étaient lancés dans l’urgence, parfois en couleur, souvent en noir, autant de corps que de visages abîmés… J’eus alors l’impression de faire un étrange retour en arrière : d’entrer dans l’un de ces ventres, celui d’une mère, pour commencer une non moins étrange cohabitation. Autour de moi (devant moi, derrière moi, au dessus et au dessous de moi, à mes côtés), se dressait chacune de ces figures pour m’observer comme je les avais observées. À force de les courtiser, je me suis aperçu que, si elles étaient comme ça ces figures, c’était peut-être parce que, moi aussi, j’étais comme ça… Silencieusement, bien sûr, je me suis alors demandé ce qui pouvait bien me manquer, à moi… Si j’habite au milieu d’elles et qui leur manque à toutes quelque chose, c’est peut-être – ou même sans doute – parce qu’il me manque, à moi aussi, quelque chose… quoi ?
C’est là, je crois, toute la force des hommes déchirés d’André Robèr : à force de les observer et de les interroger, on finit par comprendre que ce qui nous y intrigue, en fait, ce ne sont pas leurs formes, mais le regard que l’on porte sur ces formes…

L’amputé

L’amputé, 30 x 48 cm, huile sur bois, 1998

« Pou larg langaz »

André Robèr édite des livres, il édite des auteurs réunionnais, jeunes et moins jeunes, il édite avec le cœur ceux qu’il aime : un autre Robert, Robert Jean-Louis avec un « t », poète et romancier (je pense à Tramayaz et à Creuse ta tombe). Il édite des romanciers (je pense à Vativien de Daniel Honoré), mais surtout, il édite des poètes, tous contemporains, tous engagés pour une culture qui veut vivre, qui veut être lue et entendue : Axel Gauvin, Alain Armand, Patrice Treuthardt, Mikael Kourto, Babou B’Jalah, Carpanin Marimoutou, etc. Il édite des livres donc, pour que nous puissions lire nos maux, mais il édite aussi des albums, de la poésie lue, pour que nous puissions entendre les mots : ceux des mêmes écrivains précédemment cités, mais aussi ceux de Riel Debars, de Claire Karm, de Francky Lauret, de Louis Hery, etc. Et c’est sans compter la musique et ces albums faits de mots chantés : je pense à Kabarka de Antre-deux et Pagot, ou encore à l’album anniversaire fait pour les vingt ans de Ziskakan.  
André Robèr édite donc avec le cœur, parce qu’il aime, mais il édite aussi – surtout peut-être ? – par nécessité : parce qu’il a entendu un soir d’été de 1999 que la culture réunionnaise n’existait pas. Par le biais des éditions K’A, il apporte des preuves : Kartié troi lète, Zordi & Kasé brizé, Kozman maloya, Kabarèr, Le Jalah, Fazèle, etc. sont autant de preuves de l’existence d’une culture réunionnaise authentique, singulière et originale, vivante et vivace. Et pour que le catalogue soit complet, il édite également des essais et des textes d’analyse qui viennent confirmer non seulement la force de cette production artistique, mais aussi de celle de la pensée contemporaine réunionnaise : Fonder une littérature de Louis Hery, Amarres de Françoise Vergès et Carpanin Marimoutou, les études sur la poésie et les nouvelles formes d’expression créole de Marie Josée Matiti Picard et de Frédérique Hélias, etc.     
En somme, André Robèr édite, comme il est rappelé sur chacune des couvertures de ses livres, « pou larg langaz », pour ne pas se taire, pour « kozé » plus et plus fort que ceux qui ne voulaient entendre qu’un murmure là où il y avait, en fait, un grondement culturel. « Pou larg langaz » ne veut donc pas dire créer un langage – puisque ce langage existe déjà – mais signifie davantage le faire entendre, le diffuser, le perpétuer, pour faire vivre la culture qu’il véhicule… pour empêcher l’enlisement et l’oubli, pour faire en sorte que rien ne puisse l’arrêter, et surtout pour que personne ne puisse à nouveau dire que cette culture n’existe pas. Si André Robèr édite pour, il édite donc aussi contre : contre ces a priori négatifs qui voulaient faire croire qu’une chose n’existait pas, sous prétexte qu’elle n’était peut-être pas suffisamment visible. Maintenant elle l’est, et les éditions K’A apportent le témoignage de cette visibilité : la réponse aux propos tenus en 1999 est exemplaire, en ce sens où André Robèr ne s’est pas contenté d’une phrase vague ou évasive pour contredire son accusateur, mais il a multiplié les phrases… Chaque parution des éditions K’A est une réponse. Ce qui fait à ce jour plus d’une soixantaine de textes, écrits ou dits (sans compter ceux à venir…), qui correspondent à autant de preuves concrètes, palpables, qu’il y a effectivement et indéniablement une vie culturelle réunionnaise.
Ce qui est frappant dans ce parcours et dans cette démarche artistique – démarche de vie -, c’est qu’André Robèr ne se contente jamais de constater (que la culture peut, et doit lui appartenir, ou bien qu’« on » dit de la culture réunionnaise qu’elle n’existe pas, etc.), mais, que, en plus de constater, il s’active. Il fait, il crée, il investit tous les champs : la peinture, la poésie, les éditions… l’engagement artistique est social, c’est un engagement artistique et social sous toutes ses formes, et même (je me risque à prononcer ce mot) politique.
Pour tenter de répondre à la question posée plus haut : quand est né André Robert ?, il paraît plausible de dire que l’artiste - ou plutôt l’an-artiste André Robèr, sans « t », avec un accent grave (cf. Znorko) – est né de son départ, de sa rupture, de sa rencontre de deux couleurs, du rouge et du noir, de son arrivée sur le continent, dans cette autre France, celle de l’autre côté de la mer… peut-on parler d’un exil fécond ? Peut-on même parler d’un exil, tant La Réunion est présente dans toutes ses activités d’ici ? En tout cas, pour jouer encore une fois à être lui, je pourrais le citer à nouveau : « La mobilité m’a indirectement conduit à l’art, qui m’a permis d’estomper cette souffrance due au déracinement. La rencontre de l’autre et des autres m’a apporté beaucoup, l’ouverture au monde m’a permis d’avancer et d’apprendre à grandir ».

Conférence de Stéphane Hoarau le à l'ARCC paris pour l'enregistrement de "Couleur saphir N° "

 

André Robèr Atelier : 2 carrer Julien Panchot 66130 Ille-sur-Têt andre.rober(at)free.fr Blog http://andrerober.blogspot.com/